Inconnu à cette adresse
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On croyait à tort que les Français étaient seuls capables de briller dans l’art du récit bref. Kressmann Taylor nous en apporte une preuve éclatante avec ce roman épistolaire, une grande réussite du genre publié pour la première fois dans sa version intégrale dans Story Magazine en 1938, soit un an avant que n’éclate la seconde guerre mondiale.
Il s’agit de l’histoire de deux amis : Martin Schulse, un Allemand, et Max Eisenstein, un Juif américain. Voilà des années qu’ils sont associés à San Francisco dans une affaire prospère de commerce de tableaux, "La galerie Schulse-Eisenstein", quand Martin, au début des années 30, décide de retourner dans son pays. La correspondance entre les deux amis commence le 12 novembre 1932 et s’achèvera le 3 mars 1934.
Moins de vingt lettres qui nous racontent à leur manière comment l’Histoire peut s’introduire dans les destins particuliers et les emporter. Mais pas de commentaires, pas d’analyse. Aucune digression de cet ordre dans un roman qui se lit comme un journal intime à deux voix. L’Histoire y certes présente ; elle ne ménage pas ses effets, pas plus que ce livre dont on n’oublie pas une chute qui, pour être attendue, n’en reste pas moins surprenante dans sa forme. De ces effets, l’auteur choisit cependant de ne retenir que ceux qu’elle entraîne sur l’amitié de deux hommes séparés d’abord par la distance et désormais par leurs origines respectives.
"Qui est cet Adolf Hitler qui semble en voie d’accéder au pouvoir en Allemagne? Ce que je lis sur son compte m’inquiète beaucoup." écrit Max peu après le départ de Martin. A quoi ce dernier répond : "Franchement, Max, je crois qu’à nombre d’égards Hitler est bon pour l’Allemagne, mais je n’en suis pas sûr (…). L’homme électrise littéralement les foules ; il possède une force que seul peut avoir un grand orateur doublé d’un fanatique. Mais je m’interroge : est-il complètement sain d’esprit ?" Comment Max, qui lit ces lignes, pourrait-il venir à penser que l’amitié qui les lie, lui et Martin, et dont la force tient davantage de la fraternité que de l’amitié mondaine, n’ait été jusqu’alors qu’un mirage de jeunesse ? "Je sais que ton esprit libéral et ton cœur chaleureux ne pourraient tolérer la brutalité, et que tu me diras la vérité." La vérité ? Elle apparaîtra sans fioritures au Juif Eisenstein dès le 9 juillet 1933 : "Nous devons présentement cesser de nous écrire, lui répond son ami allemand. Il devient impossible pour moi de correspondre avec un Juif ; et ce le serait même si je n’avais pas une position officielle à défendre (…). La race juive est une plaie ouverte pour toute nation qui lui a donné refuge. Je n’ai jamais haï les Juifs en tant qu’individus –toi, par exemple, je t’ai toujours considéré comme mon ami-, mais sache que je parle en toute honnêteté quand j’ajoute que je t’ai sincèrement aimé non à cause de ta race, mais malgré elle.".
On sait que le tragique, comme le burlesque, tient au manque de proportion entre la situation et l’homme. En nous replaçant devant cette évidence avec une économie extrême, sans complaisance, sans littérature, ces pages abruptes et frémissantes atteignent à la grandeur des œuvres qui ne nous parlent de rien d’autre que de vérité humaine.
http://www.fluctuat.net/livres/chroniques/inconnu.htm
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1. caramelmou
2. Verozerosept
3. coccinelles
4. giuls
5. confitures
retour chez choupinou
on commence le ring avec les cinq premières!
Il s’agit de l’histoire de deux amis : Martin Schulse, un Allemand, et Max Eisenstein, un Juif américain. Voilà des années qu’ils sont associés à San Francisco dans une affaire prospère de commerce de tableaux, "La galerie Schulse-Eisenstein", quand Martin, au début des années 30, décide de retourner dans son pays. La correspondance entre les deux amis commence le 12 novembre 1932 et s’achèvera le 3 mars 1934.
Moins de vingt lettres qui nous racontent à leur manière comment l’Histoire peut s’introduire dans les destins particuliers et les emporter. Mais pas de commentaires, pas d’analyse. Aucune digression de cet ordre dans un roman qui se lit comme un journal intime à deux voix. L’Histoire y certes présente ; elle ne ménage pas ses effets, pas plus que ce livre dont on n’oublie pas une chute qui, pour être attendue, n’en reste pas moins surprenante dans sa forme. De ces effets, l’auteur choisit cependant de ne retenir que ceux qu’elle entraîne sur l’amitié de deux hommes séparés d’abord par la distance et désormais par leurs origines respectives.
"Qui est cet Adolf Hitler qui semble en voie d’accéder au pouvoir en Allemagne? Ce que je lis sur son compte m’inquiète beaucoup." écrit Max peu après le départ de Martin. A quoi ce dernier répond : "Franchement, Max, je crois qu’à nombre d’égards Hitler est bon pour l’Allemagne, mais je n’en suis pas sûr (…). L’homme électrise littéralement les foules ; il possède une force que seul peut avoir un grand orateur doublé d’un fanatique. Mais je m’interroge : est-il complètement sain d’esprit ?" Comment Max, qui lit ces lignes, pourrait-il venir à penser que l’amitié qui les lie, lui et Martin, et dont la force tient davantage de la fraternité que de l’amitié mondaine, n’ait été jusqu’alors qu’un mirage de jeunesse ? "Je sais que ton esprit libéral et ton cœur chaleureux ne pourraient tolérer la brutalité, et que tu me diras la vérité." La vérité ? Elle apparaîtra sans fioritures au Juif Eisenstein dès le 9 juillet 1933 : "Nous devons présentement cesser de nous écrire, lui répond son ami allemand. Il devient impossible pour moi de correspondre avec un Juif ; et ce le serait même si je n’avais pas une position officielle à défendre (…). La race juive est une plaie ouverte pour toute nation qui lui a donné refuge. Je n’ai jamais haï les Juifs en tant qu’individus –toi, par exemple, je t’ai toujours considéré comme mon ami-, mais sache que je parle en toute honnêteté quand j’ajoute que je t’ai sincèrement aimé non à cause de ta race, mais malgré elle.".
On sait que le tragique, comme le burlesque, tient au manque de proportion entre la situation et l’homme. En nous replaçant devant cette évidence avec une économie extrême, sans complaisance, sans littérature, ces pages abruptes et frémissantes atteignent à la grandeur des œuvres qui ne nous parlent de rien d’autre que de vérité humaine.
http://www.fluctuat.net/livres/chroniques/inconnu.htm
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1. caramelmou
2. Verozerosept
3. coccinelles
4. giuls
5. confitures
retour chez choupinou
on commence le ring avec les cinq premières!
J'ai reçu le livre il y a 1 heure, et je l'ai littéralement "mangé tout de suite" ! C'est très fort et très efficace, presque diabolique, ça fait froid dans le dos. Je n'ai jamais rien lu de tel. Merci à Choupinou de m'avoir fait partager ce coup de coeur.
je l'ai reçu de je ne sais qui et je ne sais pas à qui le renvoyer....mais je vais trouver!
très très vite lu, beaucoup aimé. envoyé aujourd'hui à verozerosept
Comme les autres, j'ai dévoré le bouquin en une journée.
La construction est magistrale et très incisive, mais j'ai presque regretté de ne pas en savoir plus sur la vie de Martin Schulze. Comment passe-t-on d'un humaniste à un partisan de Hitler convaincu. Cependant, je suppose que bien d'autres livres se sont attachés à décrire cela.
Merci pour cette lecture, je l'envoie plus loin dès que j'ai l'adresse de confitures.
La construction est magistrale et très incisive, mais j'ai presque regretté de ne pas en savoir plus sur la vie de Martin Schulze. Comment passe-t-on d'un humaniste à un partisan de Hitler convaincu. Cependant, je suppose que bien d'autres livres se sont attachés à décrire cela.
Merci pour cette lecture, je l'envoie plus loin dès que j'ai l'adresse de confitures.
bien arrive a Meyrin.
Lu en 30'. Effectivement bien ecrit en tres peu de mots mais bien mis. Est-ce que l'etre humain comprendra un jour son alter ego ? Chaque generation recommence les memes douloureuses erreurs. Je suis mariee a un Palestinien.
Lu en 30'. Effectivement bien ecrit en tres peu de mots mais bien mis. Est-ce que l'etre humain comprendra un jour son alter ego ? Chaque generation recommence les memes douloureuses erreurs. Je suis mariee a un Palestinien.