Sur les chemins noirs
by Sylvain Tesson | Nonfiction | This book has not been rated.
ISBN: 2072823420 Global Overview for this book
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Une chute de dix mètres depuis un chalet alpestre, un soir de boisson, stoppe net l'élan qui portait jusque là l'auteur dans ses inlassables transhumances.
Sur son lit de douleur, à l'hôpital, Tesson fait le point.
Et choisit de se remettre debout en marchant.
Il projette une diagonale du fou, à pied, de la Provence au Cotentin, par les chemins noirs :
(p. 36)
"Ces cartes d'état-major [de l'IGN] étaient des merveilles, on pouvait se réjouir de posséder une pareille couverture du pays. Pour l'instant, j'en transportais dix dans mon sac, de quoi me projeter jusqu'au Ventoux. Les feuilles révélaient l'existence de contre-allées, inconnues, au coeur de la citadelle, de portes dérobées, d'escaliers de service où disparaître. Je ne pouvais jamais regarder ces représentations au 1:25.000ème sans me demander ce qui se tramait là, sous mon doigt, au bout de ce sentier isolé, sur un talus zébré d'un tortillon. Et qui vivait dans cette maison isolée au milieu d'une lande ? Un ogre ? Un refuznik ? Une ancienne danseuse ? La carte était le laissez-passer de nos rêves.
Ces tracés en étoile et ces lignes piquetées étaient des sentiers ruraux, des pistes pastorales fixées par le cadastre, des accès pour les services forestiers, des appuis de lisières, des viae antiques à peine entretenues, parfois privées, souvent laissées à la circulation des bêtes. La carte entière se veinait de ces artères. C'étaient mes chemins noirs. Ils ouvraient sur l'échappée, ils étaient oubliés, le silence y régnait, on n'y croisait personne et parfois la broussaille se refermait aussitôt après le passage. Certains hommes espéraient entrer dans l'Histoire. Nous étions quelques uns à préférer disparaître dans la géographie."
Gallimard 2016, 170 p.
Sur son lit de douleur, à l'hôpital, Tesson fait le point.
Et choisit de se remettre debout en marchant.
Il projette une diagonale du fou, à pied, de la Provence au Cotentin, par les chemins noirs :
(p. 36)
"Ces cartes d'état-major [de l'IGN] étaient des merveilles, on pouvait se réjouir de posséder une pareille couverture du pays. Pour l'instant, j'en transportais dix dans mon sac, de quoi me projeter jusqu'au Ventoux. Les feuilles révélaient l'existence de contre-allées, inconnues, au coeur de la citadelle, de portes dérobées, d'escaliers de service où disparaître. Je ne pouvais jamais regarder ces représentations au 1:25.000ème sans me demander ce qui se tramait là, sous mon doigt, au bout de ce sentier isolé, sur un talus zébré d'un tortillon. Et qui vivait dans cette maison isolée au milieu d'une lande ? Un ogre ? Un refuznik ? Une ancienne danseuse ? La carte était le laissez-passer de nos rêves.
Ces tracés en étoile et ces lignes piquetées étaient des sentiers ruraux, des pistes pastorales fixées par le cadastre, des accès pour les services forestiers, des appuis de lisières, des viae antiques à peine entretenues, parfois privées, souvent laissées à la circulation des bêtes. La carte entière se veinait de ces artères. C'étaient mes chemins noirs. Ils ouvraient sur l'échappée, ils étaient oubliés, le silence y régnait, on n'y croisait personne et parfois la broussaille se refermait aussitôt après le passage. Certains hommes espéraient entrer dans l'Histoire. Nous étions quelques uns à préférer disparaître dans la géographie."
Gallimard 2016, 170 p.