"Merveilleux, merci ma chérie", dit Sigbjörn, ravi par la traduction anglaise de "Léviathan", de Julien Green : "The Dark Journey", en édition originale.
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Dostoïevski (et Sigbjörn aurait pu tirer quelque réconfort, ce dont il s'était jusqu'à présent abstenu, de ce que Dostoïevski eût lui aussi l'intention d'écrire un roman sur l'alcoolisme, "Les ivrognes", qui devint "Crime et châtiment", avec comme héros Raskolnikov, fils de Pulquería et non plus Marmeladov) qualifie ses années de voyage de "pires que la déportation en Sibérie". En effet, quoi de mieux pour lui que la Sibérie ? Diable, Sigbjörn lui-même ne pourrait-il se confectionner une sorte de nostalgie de remplacement de la Sibérie : Gente Sibérie. Aucune responsabilité, et aucune crainte d'être épié. Piquer un petit galop le matin au milieu de la steppe en compagnie du major, tomber amoureux de la femme du commandant Issaïev, nager dans la rivière Irtich aux berges escarpées avec le major en question, l'angélique baron Vrangel, ou arroser les plates-bandes fleuries, en chemise de coton, et ensuite regagner sa minuscule chambre aux fenêtres noircies par la fumée, pour écrire son infernale scène de la salle de bains des "Souvenirs de la Maison des Morts", les pauvres Juifs et Polonais hurlant de douleur, vomissant, chaines cliquetantes, grimpant toujours, toujours plus haut hors du fleuve méphitique ; puis déblayer la neige et jouer aux boules de neige, au besoin en jeter une contre un surveillant, ou concasser l'albâtre.